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  • : OBJECTIF SOLEIL - Ecoles Almanal et Chaims
  • : Le désir de permettre aux enfants marocains des quartiers défavorisés d'aller à l'école maternelle. En créant grâce à ce blog un partenariat de développement solidaire entre l'école Al manal de Sidi-el-bernoussi et l'école Chaims de la balnlieue de Rabbat et les français et françaises qui sont prêts à s'engager dans cette action. Ce blog se veut aussi lieu de ressources éducatives.
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10 février 2009 2 10 /02 /février /2009 22:41

Comprendre le rapport social au savoir : un enjeu dès l’école maternelle (II)

 

Analyse des activités en relation avec le concept de rapport social au savoir

 

On peut dire que ces enfants ont du mal à entrer dans la culture écrite. Ils semblent davantage soucieux de réaliser la tâche au plus vite, avec une part de hasard, que de se questionner sur le sens de ce qu’ils font. Leur difficulté trouve son origine dans le rapport épistémique au savoir : quelles questions se posent-ils, ou ne se posent-ils pas, par rapport à ce savoir constitué d’écrits ? Pourquoi emploie-t-on des lettres au lieu de photos ou de symboles ? Ce qui est étonnant, c’est l’attitude de ces enfants : ils attendent que la réponse à leur problème surgisse de quelque part. Ils sont dans la dépendance de celui qui pourra les sortir de ce mauvais pas. C’est caractéristique de l’enfant imbriqué, « spectateur » non engagé de l’école, qui a besoin d’une solution à court terme et qui ne prend pas de recul pour objectiver la situation dans laquelle il est plongé.

Pour le rapport au langage, le groupe hétérogène vertical aide les petits. Ils sont stimulés à s’exprimer comme les grands et améliorent, d’une certaine façon naturellement, leurs capacités langagières. Mais ce qui est entrainé principalement, c’est le langage du concret, celui qui sert à se débrouiller dans le groupe et à y faire sa place. Le langage pour réfléchir sur le concret et prendre de la distance est surtout travaillé dans une relation directe entre l’enseignante qui sait et l’enfant qui ne sait pas encore. Or, le rapport au savoir est un rapport social, dans lequel on entre par la confrontation entre ses représentations personnelles et celles des autres. Quand l’enfant a-t-il l’occasion de confronter sa pensée et ses idées avec celles des autres ? Quand va-t-il faire l’effort de chercher les mots les plus adéquats pour exprimer sa pensée s’il ne se trouve qu’avec l’enseignante qui sait déjà ? C’est quand les autres ne comprennent pas que l’on fait l’effort d’améliorer son expression et d’apprendre le langage de l’école. L’enfant qui a des difficultés à structurer ses idées doit être confronté aux autres pour apprendre à parler sur ce qu’il apprend et à construire ses raisonnements, en plus de l’expression de ce qu’il a fait à la maison dans les moments de discussion avec l’institutrice. Le savoir passe aussi par l’acquisition d’un langage distancié, plus élaboré que celui du quotidien.

De plus, les références à l’autorité sont différentes pour l’enfant qui a un rapport au langage très « oral-pratique » que pour l’enfant qui a un rapport distancié au langage. Un entraînement à la verbalisation sur les règles, par exemple sur la place à laquelle chaque enfant de la classe a droit (Kevin qui se plaint de ne pas avoir de place dans le coin du matin), ou sur le comportement pendant les récréations (Tony et Jason qui bousculent les autres dans le jardin), éduque les enfants à comprendre de manière explicite ce qui est attendu. Cela donne du pouvoir au langage et de la visibilité à la pédagogie.

 

Compréhension du rapport au savoir par les enseignantes

 

Sans définir clairement ce qu’est le rapport au savoir, les enseignantes se rendent bien compte que les enfants qui entrent bien dans la logique des activités de l’école sont ceux qui y sont bien préparés par leurs parents, qui ont des parents qui discutent beaucoup avec eux ou qui « font des choses » avec eux. Elles insistent sur la qualité de l’accompagnement familial pour favoriser la réussite scolaire. Quand des enfants « moins doués » sont bien entourés, ils finissent par y arriver, même s’il faut les suivre tout le temps. De même, un enfant avec lequel les parents font beaucoup d’activités évolue plus vite, a beaucoup de vocabulaire. Plus que des bonnes conditions matérielles, ce qui compte, c’est que les parents prennent du temps pour s’occuper de leurs enfants.

« Je vois des parents (...) qui apprennent à écrire le prénom, qui font des petits jeux, des bricolages. Il y a des mamans qui ne travaillent pas, ou de milieux moins favorisés, qui font quand même des choses avec leur enfant et qui permettent à leur enfant, quand même, d’évoluer. » Béatrice.

« C’est un enfant qui a énormément de vocabulaire (...) Mais ça ne m’étonne pas, parce que les parents s’occupent beaucoup d’eux. Ils s’occupent beaucoup de leurs enfants. Donc, il a beaucoup de vocabulaire ». Caroline.

Elles ont conscience de la distance de certaines familles vis-à-vis de l’école.

« Tout dépend déjà de l’environnement. (...) Quand les parents n’accrochent pas spécialement... enfin, ne sont pas pour l’école, ne sont pas pour mettre l’enfant à l’école. Il y a déjà plus de difficultés pour nous, au niveau du travail. Parce que l’enfant... prend moins l’école au sérieux que ceux qui sont là tous les jours et pour qui l’école est importante. » Delphine.

Mais elles ont du mal à exprimer clairement que l’origine des difficultés d’apprentissage réside dans la distance entre le milieu social de la famille et celui de l’école. Elles-mêmes proviennent d’un milieu social simple et n’ont pas l’impression d’être porteuses d’une culture fort éloignée de celle des familles. Elles apprécient l’hétérogénéité de la population de l’école. Elles constatent que tous les enfants n’arrivent pas à l’école avec les mêmes acquis, que ceux qui viennent du prégardiennat ou d’une crèche sont mieux préparés : ils ont déjà acquis un rythme, savent rester assis et écouter une, voire deux consignes, manger à table. Mais pour elles, les difficultés ne concernent pas spécialement les enfants issus de milieux défavorisés. Elles reconnaissent néanmoins que, dans « 75 cas sur 100 », des conditions de vie familiale difficiles ont des conséquences sur la réussite scolaire, que certains enfants souffrent du milieu social dans lequel ils sont nés, qu’ils ont besoin de beaucoup plus d’aide, à l’école et en dehors de l’école.

« Mais moi, par exemple, je sais dire, en étant en 1ère maternelle, quels sont les enfants qui auront des difficultés plus tard ! » Caroline.

Elles pensent qu’il faut travailler davantage avec ces enfants. Dès lors, un des problèmes majeurs, c’est le nombre d’enfants par classe. Ils sont trop nombreux. L’idéal serait de n’avoir que 15 enfants par classe.

« C’est vraiment le nombre qui est un handicap ! (...) Si on me laisse une classe avec 15 enfants, c’est clair que les enfants qui ont des difficultés, je les entourerais plus. Si j’en ai 25 ! » Caroline.

Quand il y en a plus, il faut qu’un intervenant extérieur (logopède, centre de guidance...) vienne extraire les faibles pour travailler avec eux. Mais cela les stigmatise, ils ont besoin d’être avec les autres. Elles se félicitent de l’organisation des classes verticales qui permet de tirer les plus faibles vers le haut, par émulation. Et les jeunes enfants plus doués peuvent travailler avec des plus âgés.

 

Conclusion

 

La question du rapport social au savoir n’est pas connue des enseignantes rencontrées dans le cadre de ma recherche. Malgré leur dévouement, elles reconnaissent les limites de la portée de leur travail et les attribuent à des facteurs externes comme le milieu d’origine peu soutenant ou le nombre d’enfants trop élevé dans les classes. Implicitement, elles reconnaissent que l’école est adaptée aux enfants familiarisés par leur milieu social avec l’écrit et le langage élaboré. Mais elles n’envisagent pas de possibilités concrètes pour remédier aux problèmes rencontrés par les enfants qui sont dans un autre rapport social au savoir. Elles n’imaginent pas qu’elles pourraient utiliser leurs ressources en les faisant verbaliser à partir de ce qu’ils comprennent ou ne comprennent pas des activités de la classe. Pour elles, les remédiations n’interviennent qu’une fois les problèmes détectés. Elles pensent que celles-ci doivent être individuelles, soit sous leur direction, soit en les déléguant à du personnel spécialisé. De plus, le comportement dérangeant des enfants en difficulté est davantage traité que le brouillage cognitif dans lequel ils nagent.

En fait, le manque de formation en sociologie de l’éducation empêche de poser un diagnostic référé au rapport social au savoir et d’y apporter des solutions efficaces : travailler à faire verbaliser les processus et objectifs cognitifs ; se servir du groupe comme moteur à la structuration des idées et à l’apprentissage du langage de l’école et, grâce à cela, cadrer les activités, rassurer tous les enfants, leur permettre de comprendre ce qu’est apprendre et d’entrer dans les savoirs de l’école.
iSABELLE berg

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10 février 2009 2 10 /02 /février /2009 22:39

Comprendre le rapport social au savoir : un enjeu dès l’école maternelle (I)

Isabelle Berg

Le rapport au savoir est un concept souvent ignoré par les enseignants. Dès la maternelle, sa méconnaissance est cependant lourde de conséquences sur la trajectoire scolaire des enfants dont ils s’occupent, Leurs références sociales, culturelles et idéologiques induisent la manière dont ils vont pouvoir gérer les problèmes rencontrés en classe et les solutions qu’ils vont y apporter.

Cet article est scindé en deux parties. La première décrit deux activités de l’école maternelle et en analyse quelques aspects. La deuxième voit en quoi la référence au rapport au savoir peut aider à comprendre les difficultés des enfants et éclairer le diagnostic posé par les enseignantes et les remédiations qu’elles mettent en place.

Table des matières

 

Introduction

 

Après avoir expliqué de façon théorique le concept de rapport au savoir, je vais illustrer mon propos à partir des observations et entretiens réalisés dans le cadre de ma recherche. Pendant trois mois, j’ai passé une matinée par semaine dans une école maternelle de la région liégeoise, dans trois classes verticales, (c’est-à-dire regroupant des enfants d’âge et de niveau différents) de 2 ans ½ à 4 ans. J’y ai observé les dispositifs pédagogiques et relationnels utilisés par les enseignantes [1] et les ai interviewées sur la justification de leur travail pédagogique, en relation avec leur conception d’une école juste.

Les journées des enfants se composent de temps d’activités comme le calendrier, les projets, les ateliers, l’ « heure » du conte ou de la comptine, les discussions collectives, les jeux éducatifs et les jeux libres... Ces activités servent de supports aux apprentissages psychomoteurs, cognitifs et de socialisation. L’observation révèle que certains enfants calent systématiquement sur certaines étapes des activités proposées et adoptent alors des comportements dérangeants. L’analyse de la récurrence des problèmes et comportements permet d’approcher la nature des difficultés rencontrées et des solutions apportées. Je vais prendre deux exemples : le calendrier et le travail individuel écrit. J’analyserai par la suite le lien entre les difficultés rencontrées lors de ces activités et le rapport social au savoir des enfants.

 

Le calendrier

 

La présentation du calendrier est la première activité de la journée. Elle est organisée comme un rituel dont le but est d’apprendre à se situer dans le temps, à comprendre la notion de complet / incomplet, présent / absent et à commencer à rechercher des indices pour lire l’écrit. Le calendrier est en réalité un semainier, une longue bande de carton sur laquelle figurent les 7 jours de la semaine, entourés de dessins représentant les moments caractéristiques de chaque jour : gymnastique, petite journée, histoire avec la grand-mère... Il y a également des dessins qui représentent les saisons et la météo. A côté de ce semainier, un vrai calendrier « bandelette » est suspendu, avec un petit carton à trou, déplacé chaque jour pour entourer le numéro du jour dans le mois. Une fois celui-ci terminé, la bandelette, enlevée pour laisser place à celle du mois suivant, est collée à la suite de celle du mois précédent : les enfants constatent visuellement que plus l’année avance, plus la bandelette s’allonge. En-dessous du calendrier sont fixés par des velcros tous les noms des enfants de la classe, ainsi que les noms des jours de la semaine. Un dessin d’un grand bâtiment représente l’école, un autre d’une petite maison, sur le côté, représente les maisons des enfants.

Le rituel du calendrier est composé de toute une série de petites activités : 
   Chaque enfant vient se placer face aux autres, dit bonjour à l’institutrice et à ses condisciples. 
   Il reconnaît son prénom sur le panneau de la veille et va l’accrocher (avec un velcro) à l’intérieur du dessin qui représente l’école. Les grands ont une bandelette sur laquelle ne figure que leur prénom, les petits ont un carton sur lequel figure également leur photo. Cela simplifie l’observation de leur prénom : s’ils placent leur photo correctement, leur prénom est également placé « à l’endroit ». 
   Quand tous les enfants se sont présentés, ils observent et lisent les prénoms des enfants absents et vont les coller dans la « petite maison », pour signifier que ces derniers sont restés à la maison. Ils comptent également le nombre de présents et le nombre d’absents. 
   Un enfant déplace le nom du jour sur le panneau. Il doit enlever celui de la veille et, par observation avec le nom du jour qui suit celui de la veille, retrouver la bandelette - nom du jour, puis la placer au bon endroit. Il compare alors les 2 bandelettes et justifie son choix. Les enfants verbalisent les indices relatifs aux caractéristiques du jour. Il y a encore toute une réflexion sur la météo et sur les saisons, avec des dessins symboliques (ex. un nuage pour dire qu’il fait gris, des arbres sans feuilles pour l’hiver...).

La plupart des moyens et des grands collaborent très bien au rituel du calendrier. Ceux qui réussissent sont félicités. Certains grands semblent perdus face à la demande de l’institutrice et restent pensifs avec leur bandelette à la main. Certains petits semblent ne pas comprendre, ne pas être intéressés, se taisent, sont présents sans participer, regardent leurs mains...

 

Le travail individuel écrit

 

Le travail individuel écrit sert à faire travailler les enfants individuellement et à vérifier les savoirs enseignés en groupe. Trois des quatre institutrices valorisent ce type de travail. Elles estiment qu’il permet de fixer la matière et de voir si un enfant a des difficultés, ce qui se remarque beaucoup moins facilement lors des apprentissages collectifs.

« L’application, sur feuilles, c’est vraiment une preuve, ça permet de fixer ce qu’ils ont appris. Ils travaillent tout seuls. En venant au tapis, souvent, il y en a un qui aide. Donc, on ne sait pas si c’est vraiment son travail. » Béatrice.

« Il y a des enfants qui ont des difficultés de compréhension...des consignes. Pas des consignes générales du type « Va chercher ta mallette », cela non. Plutôt des consignes plus limitées... les consignes des exercices qu’on fait sur feuilles. Eh bien, il y en a 3 ou 4 qui ont un peu plus de difficultés.(...) C’est un peu plus dur de leur expliquer. 
  Et à quoi voit-on que ces enfants ont des difficultés ? 
  Sur leurs feuilles (...) .Parce que c’est à ce moment-là qu’ils sont un peu seuls, qu’ils doivent se débrouiller.
 » Caroline

Dans le concret de ce type d’activités, les enfants en difficultés adoptent des stratégies de camouflage ou des comportements dérangeants. Par exemple, Alexandre et Maxime refusent de respecter les consignes d’un travail de peinture et font autre chose : colorier toutes les cases, ne pas respecter les couleurs originales, finir le plus vite possible puis courir dans la classe... Alors qu’il devait colorier les animaux vus lors de la visite à la ferme la veille, Jason a colorié un crocodile ! Lors d’une autre activité sur le même thème, Mickaël a collé les têtes des animaux de manière très fantaisiste : la tête de la vache sur le coq, celle de l’âne sur la vache... Ces enfants se mettent au travail mais font n’importe quoi, du remplissage, n’importe comment. Ou ils disent clairement qu’ils n’ont pas envie de respecter la consigne et complètent comme ils l’ont décidé, ils traînent, courent dans la classe, vont aux toilettes... L’institutrice se fâche sur ceux qui dérangent, passe dans les bancs pour vérifier la qualité du travail, discute et aide ceux qui le souhaitent, encourage...

 

Première analyse de ces deux activités

 

Par le calendrier, l’enseignante marque le début de la journée. La façon dont ce temps est structuré permet à chaque enfant d’être reconnu individuellement et également de s’identifier comme membre du groupe. Il sait que chaque journée commence de cette manière, sous l’autorité de l’institutrice. Il apprend à verbaliser des règles de vie à l’école : on commence la journée en se disant bonjour, on fait partie d’un groupe et on vérifie si tout le monde est présent... Il utilise le langage de l’école et apprend des façons de se comporter qui peuvent être différentes de celles de la maison.

En dehors des apprentissages sociaux et langagiers, peut-on dire que le dispositif permet clairement l’entrée dans l’écrit ? Ce n’est pas évident car les enfants manipulent conjointement des images, des photos et les étiquettes avec leur prénom. Cela peut provoquer un brouillage cognitif pour ceux qui n’ont pas compris que les lettres n’ont pas de rapport avec l’objet qu’elles désignent. Que pensent-ils que représentent les lettres de leur prénom ? Certains enfants montrent qu’ils ont compris et établissent des relations entre différents mots et prénoms. D’autres par contre (même certains « grands ») ne comprennent pas le sens des étiquettes mots et n’arrivent pas, par exemple, à retrouver le jour de la semaine en comparant l’étiquette qu’ils ont en main à la liste affichée.

Par l’instauration d’un rituel et la verbalisation des indices de reconnaissance des lettres (par ceux qui savent), cette pratique suggère implicitement que tous vont peu à peu prendre leurs repères et comprendre naturellement l’usage et le fonctionnement de l’écrit. Le fait que certains grands soient toujours perdus face au sens de l’activité témoigne néanmoins de leur incompréhension. Il leur manque l’étape épistémologique qui permet de marquer la différence entre un symbole et un mot avec des lettres. Les enfants qui « savent » ne formulent pas explicitement comment ils ont compris ce passage du symbole à l’alphabet qui aide à donner facilement un grand nombre d’informations sans devoir les dessiner toutes.

Quant au travail sur feuille, il peut servir de preuve pour tester la compréhension des concepts approchés au préalable par les manipulations. La non réussite de ce type de travail révèle également des difficultés. La question est de définir en quoi elles consistent. Est-ce la matière qui n’est pas comprise, ou le support papier qui ne parle pas ? L’enfant qui ne colle pas la tête correspondant au corps de l’animal n’a-t-il aucune représentation de l’animal ? Comment agirait-il s’il avait en main différents corps et têtes d’animaux ? Quels sont les indices dont il pourrait se servir ? Ce sont les mêmes enfants, ceux qui ont du mal à retrouver leur nom le matin, qui collent n’importe quoi n’importe où. Ils ne font pas le lien entre l’animal qu’ils ont vu et qu’ils connaissent et la représentation de l’animal sur la feuille. Mais la représentation est souvent très symbolique et peut ne pas correspondre avec le souvenir concret qu’ils ont de l’animal. Il faut qu’ils comprennent que c’est une représentation symbolique de l’animal en tant que catégorie, et pas de l’animal qu’ils ont réellement vu la veille. C’est comme pour l’étiquette-nom : si l’enfant n’a pas compris que les lettres ne représentent pas d’une façon ou d’une autre l’enfant qui porte ce nom, les formes des lettres ne lui disent rien. Il faut qu’il interprète qu’il s’agit d’une espèce de code qui permet, avec un minimum de signes, d’écrire tout ce qu’on veut. Ces difficultés témoignent d’une non-entrée dans l’écrit.

Dès lors, le sens de l’activité ne leur apparaît pas comme visible. Il leur manque des repères pour comprendre qu’il ne s’agit pas, par exemple, uniquement de coller, mais qu’il s’agit aussi de classer : une grosse tête sur un gros animal, et dans les gros animaux, la tête du cheval sur le corps du cheval, la tête de la vache sur le corps de la vache... Si les enfants n’ont pas, entre eux, structuré explicitement avec des mots la démarche qui permet de s’y retrouver, la tâche demandée peut ne pas avoir de sens. Ils vont rester dans l’exécution formelle de la tâche. S’ils sont bien disposés, ils vont attendre le passage de l’institutrice pour qu’elle leur répète les consignes et ne vont pas arrêter de l’interpeller pour demander vérification et confirmation de la conformité de leur travail. Par exemple, après avoir colorié un crocodile comme animal vu la veille à la ferme, Jason se concentre et vient trouver l’institutrice pour lui montrer chaque animal colorié.

Lire la deuxième partie

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5 février 2009 4 05 /02 /février /2009 17:31
Les invariants pédagogiques

par Célestin Freinet en 1964.

...C'est une nouvelle gamme des valeurs scolaires que nous voudrions ici nous appliquer à établir, sans autre parti-pris que nos préoccupations de recherche de la vérité, à la lumière de l'expérience et du bon sens. Sur la base de ces principes que nous tiendrons pour invariants, donc inattaquables et sûrs, nous voudrions réaliser une sorte de Code pédagogique ...

Invariant n°1   L'enfant est de la même nature que nous.
Invariant n° 2   Etre plus grand ne signifie pas forcément être au-dessus des autres.
Invariant n° 3   Le comportement scolaire d'un enfant est fonction de son état physiologique, organique et constitutionnel.
Invariant n° 4   Nul - l'enfant pas plus que l'adulte - n'aime être commandé d'autorité.
Invariant n° 5   Nul n'aime s'aligner, parce que s'aligner, c'est obéir passivement à un ordre extérieur.
Invariant n° 6   Nul n'aime se voir contraint à faire un certain travail, même si ce travail ne lui déplaît pas particulièrement. C'est la contrainte qui est paralysante.
Invariant n° 7   Chacun aime choisir son travail, même si ce choix n'est pas avantageux.
Invariant n° 8   Nul n'aime tourner à vide, agir en robot, c'est-à-dire faire des actes, se plier à des pensées qui sont inscrites dans des mécaniques auxquelles il ne participe pas.
Invariant n° 9   Il nous faut motiver le travail.
Invariant n° 10   Plus de scolastique.
Invariant10 bis   Tout individu veut réussir. L'échec est inhibiteur, destructeur de l'allant et de l'enthousiasme.
Invariant10 ter   Ce n'est pas le jeu qui est naturel à l'enfant, mais le travail.
Invariant n° 11   La voie normale de l'acquisition n'est nullement l'observation, l'explication et la démonstration, processus essentiel de l'Ecole, mais le Tâtonnement expérimental, démarche naturelle et universelle.
Invariant n° 12   La mémoire, dont l'Ecole fait tant de cas, n'est valable et précieuse que lorsqu'elle est vraiment au service de la vie
Invariant n° 13   Les acquisitions ne se font pas comme l'on croit parfois, par l'étude des règles et des lois, mais par l'expérience. Etudier d'abord ces règles et ces lois, en français, en art, en mathématiques, en sciences, c'est placer la charrue devant les boeufs.
Invariant n° 14   L'intelligence n'est pas, comme l'enseigne la scolastique, une faculté spécifique fonctionnant comme en circuit fermé, indépendamment des autres éléments vitaux de l'individu
Invariant n° 15   L'Ecole ne cultive qu'une forme abstraite d'intelligence, qui agit, hors de la réalité vivante, par le truchement de mots et d'idées fixées par la mémoire.
Invariant n° 16   L'enfant n'aime pas écouter une leçon ex cathedra
Invariant n° 17   L'enfant ne se fatigue pas à faire un travail qui est dans la ligne de sa vie, qui lui est pour ainsi dire fonctionnel.
Invariant n° 18   Personne, ni enfant ni adulte, n'aime le contrôle et la sanction qui sont toujours considérés comme une atteinte à sa dignité, surtout lorsqu'ils s'exercent en public.
Invariant n° 19   Les notes et les classements sont toujours une erreur
Invariant n° 20   Parlez le moins possible
Invariant n° 21   L'enfant n'aime pas le travail de troupeau auquel l'individu doit se plier comme un robot. Il aime le travail individuel ou le travail d'équipe au sein d'une communauté coopérative
Invariant n° 22   L'ordre et la discipline sont nécessaires en classe.
Invariant n° 23   Les punitions sont toujours une erreur. Elles sont humiliantes pour tous et n'aboutissent jamais au but recherché. Elles sont tout au plus un pis-aller.
Invariant n° 24   La vie nouvelle de l'Ecole suppose la coopération scolaire, c'est-à-dire la gestion par les usagers, l'éducateur compris, de la vie et du travail scolaire.
Invariant n° 25   La surcharge des classes est toujours une erreur pédagogique.
Invariant n° 26   La conception actuelle des grands ensembles scolaires aboutit à l'anonymat des maîtres et des élèves; elle est, de ce fait, toujours une erreur et une entrave.
Invariant n° 27   On prépare la démocratie de demain par la démocratie à l'Ecole. Un régime autoritaire à l'Ecole ne saurait être formateur de citoyens démocrates.
Invariant n° 28   On ne peut éduquer que dans la dignité. Respecter les enfants, ceux-ci devant respecter leurs maîtres est une des premières conditions de la rénovation de l'Ecole
Invariant n° 29   L'opposition de la réaction pédagogique, élément de la réaction sociale et politique est aussi un invariant avec lequel nous aurons, hélas! à compter sans que nous puissions nous-mêmes l'éviter ou le corriger.
Invariant n° 30   Il y a un invariant aussi qui justifie tous nos tâtonnements et authentifie notre action: c'est l'optimiste espoir en la vie.

 

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